La Buire Torpedo 1924
(Retro-en-Caux, Doudeville, Seine-Maritime, juillet 2009)
Les "Chantiers de la Buire", du nom d'un quartier de Lyon, ont été créés en 1847 par Frossard de Saugy. L'entreprise de construction métallique est spécialisée en outre dans la construction de matériel roulant ferroviaire. La Société est dirigée de 1866 jusqu'à sa mort en 1904 par Auguste Seguin qui diversifia l'activité dans les métiers à tisser, les lunettes astronomiques et les moteurs électriques. Mais pour le matériel roulant ferroviaire, les "Chantiers de la Buire" ont une grande renommée au point où ils fournissent les wagons du Tsar de toutes les Russie et du Roi d'Italie.
Pourtant une crise des activités ferroviaires emportera la dégringolade de l'entreprise qui doit son salut à la "Compagnie des Fonderies et Forges de l’Horme". La société Horme et Buire est alors spécialiste de la construction de presses à forger, pilons à vapeur, de compresseurs, de matériel pour la mine tel que haveuse, treuils etc. Cependant la branche de matériel roulant ferroviaire est conservée.
Très tôt les dirigeants de l'entreprise s'intéressent à l'automobile et particulièrement au tricycle créé par Léon Serpollet. En 1890, un accord de production est conclu et La Buire monte sur un châssis les chaudières fournies par Serpollet. Cette activité reste marginale par rapport à la construction de wagons à nouveau en plein essor. On comprend cependant que les voitures à traction animale ont peu d'avenir et les investissements sont à nouveau tournés vers les trains "Scott" et les premiers gazogènes "Delamare-Deboutteville". Le développement est judicieux car le marché se trouve effectivement là.
Toujours visionnaire, la filiale automobile est créée en 1905. Le savoir-faire acquis dans la construction de wagon est transposée dans la fabrication de voitures, et le confort et l'attention portée à la finition en font des voitures fort luxueuses. La gestion de la filiale est confiée à trois ingénieurs ayant déjà ait leurs preuves dans la construction automobile. Dès lors les voitures "La Buire" seront reconnues pour leur qualité, leur confort, leur silence de fonctionnement. En effet, l'innovation permanente conduit à créer une nouvelle boite de vitesses entièrement construite sur des roulements à bille et avec une forme de pignon dont le but est de réduire le bruit de fonctionnement. Au niveau du moteur, les engrenages de distribution ont également été revus et leurs très larges dents en fibre roulent sans bruit sur le pignon de commande. Ces solutions originales et séduisantes, sont récompensées par une médaille d'argent à l'Exposition Internationale de Milan de 1905, et le 28 décembre de cette même année, une La Buire est lauréate du concours de voitures de ville organisé à l'occasion de l'Exposition à Paris, la sélection étant principalement axée sur la régularité de marche et la consommation. Parallèlement, les voitures remportent des courses prestigieuses, en particulier au Mont-Ventoux.
Les modèles La Buire s'écoulent facilement et la gamme connaît plusieurs modèles. 400 voitures sont vendues en 1907. En 1908, la Compagnie des Transports des Postes de Paris choisit La Buire pour lui fournir ses voitures. La Buire se distingue encore en grimpant la pente de 35 % permettant d'accéder au parvis du Sacré-Coeur, ou en devançant de plus de 40 minutes le train Paris-Dieppe à plus de 80 km/h de moyenne, sans parler des victoires à Bordeaux-Royan et autres courses locales.
Mais dès 1909, de graves erreurs de gestion ont conduit à l'entreprise à devoir lever des fonds considérables pour tenter d'échapper à la cessation de paiement, sans succès. En 1910, l'activité automobile est jugée assez rentable, et la "Société Nouvelle de La Buire Automobile" poursuit l'aventure. Sous l'impulsion d'une nouvelle direction emmenée par M. Berthier, les voitures bénéficient des dernières améliorations : pièces plus facilement démontables et accessibles, nouveau bloc moteur avec soupapes en L (une en tête, l'autre latérale), embrayage multi-disque, arbre à cames entraîné par chaîne. L'entreprise créera aussi la lubrification à barbotage à niveau constant, le différentiel, la suspension avec ressorts et amortisseurs etc etc... Dans la foulée, une La Buire remporte la course St-Petersbourg - Sébastopol, longue de 3500 km, sans connaître la moindre avarie et sans la moindre pénalité.
Pendant la guerre, la firme se spécialise dans la fourniture de voitures, remorques porte-char et camions. Financièrement, la période est faste si bien qu'en 1919 l'activité reprend avec des modèles étudiés. Mais les ventes ne reprennent pas les volumes d'avant-guerre et les investissements peinent à être rentabilisés. Le départ de Berthier accélèrera la perte de l'entreprise, mouvement amplifié par la décision de la nouvelle équipe de renouer avec la compétition. Les victoires n'ont plus alors l'impact d'antan, et le trésor de guerre s'amenuise. Le manque d'investissement conduit à l'usure des modèles et les concessionnaires se tournent de plus en plus régulièrement vers la concurrence. Un ultime modèle est mis en vente à un prix exorbitant, en raison d'un coût de production important causé par des volumes insuffisants.
La firme sera finalement vaincue par la crise des années 30 dans un contexte où une mauvaise gestion de l'entreprise ne laissait que peu d'espoir de survie. La Buire entre alors dans le cimetière du prestige automobile français, avec de très nombreuses autres marques, laissant derrière elle un prestigieux passé fait de victoires et de brevets.