Hotchkiss Anjou 13.50 (1951-1954)
(Auto-Moto-Rétro, Parc des Expos de Rouen, Seine-Maritime, septembre 2017)
🥀 Hotchkiss Anjou 13-50
Dernière révérence d’une aristocratie dépassée
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la France tente de se reconstruire, et l’automobile accompagne cette renaissance avec une double exigence : démocratisation et modernité. Tandis que Renault, Citroën ou Peugeot amorcent la relance industrielle avec des modèles pensés pour la production de masse, Hotchkiss reste fidèle à son positionnement commercial d’avant-guerre : "le juste milieu". Pas aussi luxueux qu'une Delage ou qu'une Bugatti, mais plus qu'une Peugeot ou une Citroën. Elle s'adresse à une clientèle bourgeoise et conservatrice alors que la guerre a complètement redistribué les cartes et les comportements .
L'Hotchkiss Anjou, lancée en 1950, incarne cet entêtement. Héritière directe de l’Artois — elle-même dérivée de la Cabourg — l’Anjou présente une silhouette adoucie, plus arrondie, mais conserve dans ses entrailles l’essentiel d’une architecture datée. Une élégante survivante qui croit encore à l’automobile comme objet de distinction… alors que l’époque exige des voitures utiles, rationnelles, et bon marché.
L’Anjou succède à l’Artois 864 S49, présentée en 1948 mais boudée par le marché (à peine 2000 exemplaires). Hotchkiss décide donc d’offrir à sa berline une robe plus moderne, abandonnant les lignes anguleuses. Cependant, la voiture est toujours construite en frêne, ossature sur laquelle la carrosserie est montée. La solution est lourde, très coûteuse en regard des monocoques qui deviennent peu à peu la norme. La voiture est assemblée à Saint-Denis, près de Paris. Les cabriolets et coupés sont eux retravaillés par Henri Chapron.
Alexis Kow, le styliste de la marque, a su à la fois moderniser la ligne tout en restant classique. On retrouve la ligne générale du modèle précédent mais les deux phares sont désormais intégrés à l'aile. La calandre s’inspire encore des formes verticales des années 30 mais les ailes sont mieux intégrées et donnent l'impression d'une silhouette "ponton". Si le pare-brise est encore en deux parties parce qu'on ne sait pas encore faire des vitres bombées, les ailes conservent des galbes importants et tirent vers les portières avant qui se rétrécissent en largeur au niveau du tableau de bord. La première année, il y a encore un marche-pied qui fait le lien avec le passé. Les portes s'ouvrent vers l'avant.
L’habitacle, quant à lui, se distingue par un soin rare apporté aux matériaux : velours épais, bois verni, moquette à poils longs ; un luxe artisanal bien loin de la rationalisation industrielle qui s’impose chez les concurrents. Mais la conduite est toujours à droite.
Comparée à la 4CV ou la 203, ou même face à une Ford Vedette, l'Anjou n'est pas esthétiquement dépassée. Elle reste dans la ton de l'après-guerre, une époque où l'on reconstruit à la hâte sans se soucier de la modernité à l'excès. Avant d'améliorer, il faut déjà commencer par fournir quelque chose. Et c'est ce qui va se passer pour la mécanique.
Sous le capot, l’Anjou 13-50 conserve un moteur 4 cylindres 2 312 cm³ issu des modèles AM 80 d’avant-guerre. Avec 72 chevaux SAE à seulement 4000 tr/min, ce bloc longue course en fonte privilégie le couple et la souplesse, au détriment de la vivacité. Il est robuste, silencieux, presque placide — mais déjà dépassé. Pour ceux qui en veulent davantage, Hotchkiss propose la Gascogne, version 6 cylindres, plus puissante mais marginale.
Le véritable raffinement de l’Anjou ne se cache pas dans sa puissance, mais dans son confort de roulement. Elle adopte un système de suspension original conçu par l’ingénieur Jean-Albert Grégoire, dit à « flexibilité variable ». Chaque roue est équipée de trois ressorts : un ressort principal qui se compresse et deux petits ressorts auxiliaires qui s'étirent. Ainsi, ils absorbent successivement les irrégularités, assurant un comportement routier doux, presque flottant. Ce système — rare et coûteux — a aussi été brièvement adopté par la 4CV (sous le nom "Aérostable") ou quelques Citroën Traction, mais jamais à grande échelle.
Côté transmission, les premières Anjou (modèles 1951) reçoivent une boîte manuelle à 4 rapports (dont la première n'est pas synchronisée) avec un levier au plancher. Seuls environ 1000 exemplaires bénéficient de cette configuration. Par la suite, la commande passe au volant, et une option de boîte électromécanique Cotal est disponible — soit avec levier sous le tableau de bord, soit au volant.
Mais le monde change. En 1950, Peugeot prend discrètement le contrôle d’Hotchkiss, qui ne parvient pas à rentabiliser sa production ni à élargir sa clientèle. La fusion avec Delahaye en 1953 sonne le glas des ambitions automobiles de l’entreprise. Seule la très innovante (et éphémère) Hotchkiss-Grégoire survivra brièvement à cette restructuration. Pour Hotchkiss, l’avenir passe par les véhicules utilitaires et la production sous licence de la Jeep Willys. C'est est alors fini de cette ambition de Hotchkiss d'être le "juste milieu".
Avec seulement 3 687 exemplaires produits, l’Anjou 13-50 n’aura été qu’un chant du cygne. Raffinée mais hors du temps, elle incarne l’élégance à contretemps, un luxe discret éteint par les réalités industrielles.
📄 FICHE TECHNIQUE : Hotchkiss Anjou 13-50 (1950–1953)
🔹 Type du moteur : 4 cylindres en ligne, atmosphérique
🔹 Bloc : fonte
🔹 Culasse : fonte
🔹 Emplacement : longitudinal avant
🔹 Puissance fiscale : 13 CV
🔹 Cylindrée : 2 312 cm³
🔹 Alésage x course : 86 x 99,5 mm
🔹 Taux de compression : 6,3 : 1
🔹 Vilebrequin : 3 paliers
🔹 Puissance maximale : 72 ch SAE à 4 000 tr/min
🔹 Couple maximal : 14,9 mkg à 2 000 tr/min
🔹 Distribution : arbre latéral, soupapes en tête
🔹 Nombre de soupapes : 8 (2 par cylindre)
🔹 Alimentation : carburateur
🔹 Type de transmission : propulsion
🔹 Boîte de vitesses : 4 rapports manuels (1re non synchronisée) ou boîte électromécanique Cotal à 4 vitesses
🔹 Direction : à vis et secteur
🔹 Diamètre de braquage : ≈ 11,5 m
🔹 Châssis : châssis séparé en échelle, structure en frêne
🔹 Suspension avant : indépendante à flexibilité variable (système Grégoire, 3 ressorts par roue)
🔹 Suspension arrière : essieu rigide, ressorts à lames longitudinaux
🔹 Longueur : 4 820 mm
🔹 Largeur : 1 750 mm
🔹 Hauteur : 1 550 mm
🔹 Empattement : 2 925 mm
🔹 Voie avant : 1 450 mm
🔹 Voie arrière : 1 436 mm
🔹 Pneus avant : 6.50 x 16
🔹 Pneus arrière : 6.50 x 16
🔹 Freins avant : tambours hydrauliques
🔹 Freins arrière : tambours hydrauliques
🔹 Vitesse maximale : 125 km/h
🔹 0 à 100 km/h : 24,5 s
🔹 Capacité du réservoir : 60 litres
🔹 Consommation à 90 km/h : ≈ 12 l/100 km
🔹 Consommation à 120 km/h : ≈ 14 l/100 km
🔹 Consommation en cycle urbain : ≈ 15–16 l/100 km
🔹 Volume du coffre : ≈ 450 litres
🔹 Poids à vide : ≈ 1 400 kg














