Matra MS670B (1972)
(Auto-Moto-Rétro, Parc des Expos de Rouen, Seine-Maritime, septembre 2017)
Matra-Simca MS670
L’aboutissement d’un rêve français
Au départ, il y a René Bonnet, ingénieur et pilote, convaincu que l’aérodynamisme et la légèreté compenseraient le déficit de puissance des moteurs français. Après la séparation d’avec Charles Deutsch, il fonde sa propre marque, crée les DB Le Mans, Missile ou la Djet, mais l’aventure tourne court faute de moyens.
En 1964, Matra (Mécanique Aviation Traction), entreprise d’aéronautique et d’armement dirigée par Jean-Luc Lagardère, reprend l’usine Bonnet de Romorantin. L’objectif : donner à Matra une vitrine grand public. Le sport automobile sera ce vecteur d’image. La marque « René Bonnet » disparaît, et la Djet VS de Matra-Bonnet devient Jet 5 de Matra-Sports.
Lagardère ne veut pas d’un rôle mineur : il veut placer Matra au sommet. D'abord en se plaçant en Formule 3 et Formule 2, avec succès, Ensuite il engage la firme en Formule 1 en 1968 et remporte le titre mondial en 1969 avec Jackie Stewart propulsé par un moteur Ford Cosworth.
Ce n'est que l'année suivant que Matra se lance dans l'utilisation d'un V12 dédié la à Formule 1. La tâche a été confiée depuis 1968 à Georges Martin, le concepteur du fameux moteur "Poissy" de Simca. Philippe Guédon, devenu patron de Matra-Sports lui donne pour objectif de concevoir un moteur d'un rendement de 150 ch au litre.
Mais le moteur n'est pas parfaitement au point et Matra se retrouve au bas du classement des constructeurs en 1970 et 1971. Largadère, souhaitant toujours utiliser le sport automobile comme une vitrine va changer de fusil d'épaule
Certes, l'équipe est engagée dans la compétition des 24 Heures du Mans depuis 1966, prolongeant l’œuvre de René Bonnet. Mais désormais l'entreprise va utiliser ses moyens pour remporter l'épreuve mancelle.
Les premiers prototypes (MS620, MS630, MS650) servent de laboratoires, mais les résultats sont encore insuffisants. Il faut plus de moyens pour rivaliser avec Porsche et Ferrari.
C’est là qu’entre en jeu Simca. À la fin des années 60, Chrysler prend le contrôle du constructeur français, et cherche à dynamiser son image en Europe. L’association avec Matra tombe à pic : Matra apporte le prestige sportif et l’innovation et Simca apporte le réseau commercial, une assise industrielle et une sécurité financière.
Sur la piste, les prototypes engagés au Mans arborent désormais le nom Matra-Simca MS670. Et Simca pourra vendre des voitures siglées Matra-Simca.
Ce mariage de raison renforce Matra : derrière les moyens limités d’un constructeur de niche, il y a désormais l’appui d’un grand groupe.
En 1972, Matra peut enfin aligner une voiture à la hauteur de ses ambitions. La MS670 est la synthèse de huit années d’efforts.
Le châssis est monocoque en aluminium, légèr et rigide, directement inspiré de l’aéronautique. Le moteur V12 atmosphérique de 3,0 litres a été fiabilisé, et délivre environ 450 ch à 9 800 tr/min. Il marquera les esprits par son chant strident inimitable dans les Hunaudières.
Deux versions seront prévues : courte queue pour les circuits sinueux, longue queue pour maximiser la vitesse de pointe au Mans.
Matra reçoit involontairement un petit coup de pouce du règlement de l'épreuve qui limite la cylindrée à 3 litres et exclut directement la reine du genre la Porsche 917.
Et dès la première participation avec des moyens ad hoc, le tandem Pescarolo / Graham Hill remporte la victoire. Graham devient alors le premier (et le seul pilote à ce jour) à détenir la "Triple Couronne" : Victoire à Monaco, au Mans et Indianapolis.
En 1973, l'équipe renouvelle l'exploit, Pescarolo faisant équipage avec Gérard Larrousse sur la MS670B (notre modèle). Le triplé (les trois voitures aux trois premières place) est assuré en 1974 en même temps que l'équipage Pascarolo / Larrousse remporte la troisième victoire consécutive aux 24 heures du Mans pour Matra.
Après cette domination, Matra se retire. L’objectif est atteint : l'entreprise a repris sa place au sommet de l’endurance après un titre de constructeur en Championnat du Monde de Formule 1.
Le partenariat Matra-Simca ne se limite pas aux circuits. Dans les showrooms, les modèles de série profitent directement de l’image sportive. Ce partenariat se matérialise dans la gamme de série : la Matra 530 devient la Matra-Simca 530, puis la Bagheera et le Rancho et plus tard la Murena porteront aussi ce double patronyme.
Certes, aucune n’hérite du V12 de course, mais toutes bénéficient du savoir-faire en aérodynamique, en conception légère, et surtout du prestige des victoires mancelles qui sert d’argument commercial.
Trois victoires consécutives, un triplé historique en 1974, et Matra choisit de se retirer au sommet. L’histoire pourrait s’arrêter là. Mais en réalité, elle ouvre une voie.
Quelques années plus tard, en 1978, c’est Alpine-Renault qui reprend le flambeau et offre à la France un nouveau triomphe aux 24 Heures du Mans, grâce à Didier Pironi et Jean-Pierre Jaussaud sur l’A442B. Une victoire qui prolonge l’élan initié par Matra, confirmant que la France pouvait tenir tête aux géants allemands et italiens.
L’aventure Matra-Simca MS670 reste donc un jalon fondateur : elle a montré qu’une équipe française, soutenue par une vision claire et des moyens ciblés, pouvait conquérir la Sarthe à répétition. Et si d’autres – Rondeau, Peugeot – ont ensuite écrit leur propre chapitre, elle reste le pionnier de l'ère industrielle française.